I. Ce qu’est une dispute, vraiment
On peut parfaitement pointer un problème, faire un reproche ou revenir sur un comportement sans que ça tourne à la dispute. Ce n’est pas ce qu’on dit qui déclenche le conflit, mais la manière dont l’échange dérape. Il suffit parfois d’une phrase de travers, ou d’une réponse mal reçue, pour que la tension monte d’un coup.
Une dispute peut commencer pour deux raisons : soit parce qu’on cherche à avoir raison au lieu de résoudre un problème, soit parce qu’on ne sait pas comment formuler un reproche sans attaquer, ou comment l’entendre sans se défendre. L’un attaque, l’autre contre-attaque, parfois sans même s’en rendre compte. Et au lieu de parler d’un problème, chacun commence à se parler pour gagner.
Exemple classique :
→ “J’ai pas aimé comment tu m’as parlé hier.”
Ce n’est ni violent, ni injuste : c’est exactement le genre de phrase qu’on devrait pouvoir entendre. Mais si la réponse, c’est :
→ “Tu plaisantes ? J’ai fait des efforts toute la soirée, t’es jamais content.”
alors l’échange est déjà verrouillé. Il n’y a plus d’espace pour la discussion, chacun campe sur sa version, et la relation devient le champ de bataille.
Ce n’est pas la gravité du reproche qui fait dégénérer l’échange. C’est la posture, le ton, la crispation. C’est le moment où l’un se sent mis en cause, et choisit de se défendre plutôt que d’écouter. L’autre hausse la voix pour se faire entendre. Le reproche devient une accusation, puis un règlement de comptes.
Mais parfois, c’est simplement le reproche qui est mal lancé. Une phrase agressive, un ton accusateur, et l’échange déraille dès la première seconde.
→ “Et voilà, comme d’habitude, madame m’a encore foutu la honte devant tout le monde.”
Il n’y a pas de place pour une réponse constructive. L’autre ne peut que se défendre ou rendre le coup. La suite est déjà écrite.
II. Pourquoi croit-on que c’est sain de se disputer ?
Parce que c’est partout. Dans les films, dans les séries, dans les témoignages, dans les conseils de la presse féminine. Le couple qui crie, qui claque des portes, qui pleure avant de se retrouver est devenu un modèle à part entière. Et à force d’y être exposé, on finit par croire que l’intensité justifie tout. Que la dispute, c’est la preuve qu’on tient à l’autre, qu’on n’est pas indifférent.
Parce qu’on confond “dire ce qu’on pense” et “balancer ce qu’on ressent”, sans filtre ni méthode. On croit qu’un reproche exprimé à chaud, sur un ton sec ou ironique, reste un acte de sincérité. Et on oublie qu’un reproche mal formulé n’est pas du courage, c’est juste un coup de pression.
Parce qu’on pense qu’un couple sans dispute serait fade, ou faux. Qu’un désaccord contenu est un désaccord évité. Alors qu’en réalité, ne pas se disputer, ce n’est pas fuir le conflit. C’est savoir le traiter autrement.
Parce qu’on n’a jamais appris à recevoir un reproche sans se sentir agressé. Même une phrase formulée calmement peut être vécue comme une attaque, dès lors qu’on refuse l’idée d’avoir pu faire mal. Et comme personne ne nous a appris à encaisser sans riposter, on considère que se disputer est normal. Alors que c’est juste ce qu’on fait par défaut, quand on ne sait pas faire mieux.
III. Les couples qui ne se disputent jamais sont-ils dans le déni ?
On entend souvent que les couples sans dispute sont dans l’évitement. Que s’il n’y a pas d’explosion, c’est qu’il n’y a pas d’authenticité. Comme si la confrontation était la seule façon de prouver qu’on se parle vraiment.
Ce réflexe est tenace, mais il repose sur une confusion : ce n’est pas l’absence de disputes qui pose problème, c’est l’absence d’échanges. Certains couples évitent les tensions, oui, mais pas parce qu’ils savent se parler. Ils se taisent, contournent, laissent passer. Ce n’est pas du calme, c’est du silence organisé. Et ça finit rarement bien.
Mais il existe aussi des couples qui ne se disputent pas pour une toute autre raison : non pas parce qu’ils ont peur de se confronter, mais parce qu’ils ont appris à le faire autrement. Ils n’attendent pas que la colère monte pour dire ce qui ne va pas. Ils savent formuler un reproche sans provoquer une contre-attaque. Et surtout, ils ont compris qu’un désaccord n’oblige pas à s’invectiver pour être pris au sérieux.
Dans ces couples-là, il y a des désaccords, des tensions, parfois des sujets sensibles. Mais ce n’est pas traité sur le mode du conflit. Ce n’est pas évacué non plus. Il n’y a pas de scénario dramatique à résoudre, juste une manière de parler qui ne cherche pas à humilier ni à se défendre à tout prix.
L’absence de dispute ne veut rien dire en soi. Ce n’est ni une preuve de maturité, ni un signe de fuite. Ce qui compte, c’est ce que deviennent les tensions une fois qu’elles sont là. Et à cette question, la dispute n’est jamais la meilleure réponse.
IV. Ce qu’il faudrait faire à la place
Voici ce à quoi devrait ressembler une dispute saine :
→ « Hier soir, tu m’as coupée trois fois en une minute. »
→ « Ah, j’ai fait ça ? Je ne m’en suis pas rendu compte. Désolé, je ferai attention. »
C’est tout. Rien de plus grave ne s’est produit. Un reproche clair, une écoute honnête, une excuse spontanée. Personne ne s’est senti humilié, personne n’a nié les faits, et personne n’a surenchéri. Voilà ce que vous devriez viser. Pas l’absence de tensions, pas un quotidien sans reproches, mais la capacité de dire clairement ce qui dérange et de l’entendre sans y voir une attaque personnelle.
Voici un exemple un peu plus complexe :
→ « Hier, quand on était avec tes amis, tu m’as coupée plusieurs fois. J’ai eu l’impression que tu ne supportais pas que je parle. »
→ « Ah, j’ai fait ça ? Je ne m’en rends pas compte. Tu peux me redire à quel moment ? »
→ « Quand je parlais de mon boulot, t’as soufflé, puis t’as repris la parole juste après. »
→ « Ok, je vois. Je crois que j’étais agacé par la discussion, pas par toi. Mais si tu l’as vécu comme ça, c’est que j’ai déconné. Désolé, je ferai plus attention. »
Ici, celui qui reçoit le reproche ne se défend pas immédiatement. Il cherche à comprendre ce qu’il a fait précisément, admet sa responsabilité sans pour autant s’écraser, et clarifie son intention pour éviter le malentendu. Celui qui formule le reproche reste centré sur les faits concrets, sans accusation vague ni insinuation blessante. Chacun écoute, comprend, et ajuste son comportement. Et la dispute s’arrête avant même de commencer.
Dans certain cas, celui qui reproche peut se rendre compte qu’il n’y a pas de tort de l’autre côté, par exemple :
→ « Hier soir, en rentrant de chez ta sœur, t’as même pas enlevé ton manteau que t’étais déjà sur ton ordi. J’ai eu l’impression que tu m’en voulais pour un truc. »
→ « Sérieux ? Tu pensais que j’étais énervé ? »
→ « Ouais… T’étais hyper silencieux dans la voiture, t’as pas réagi quand je t’ai parlé du repas, et une fois à la maison t’as filé dans le salon sans un mot. J’ai senti un truc froid. »
→ « Ah mince. J’avoue, j’étais un peu sous pression. J’avais un mail pro relou à envoyer avant minuit, et en plus, j’avais envie de faire une pause après la soirée. C’est pour ça que j’ai pas traîné. C’était pas contre toi du tout. »
→ « Ok. Bon, j’ai un peu tout mélangé alors. J’ai cru que t’étais agacé par moi… alors que t’étais juste ailleurs. »
→ « Franchement, je comprends, t’as très bien fait de me le dire.»
On voit qu’ici, c’est juste un échange d’explication ou chacun finit rassuré. La pire chose à faire aurait été de ruminer en imaginant mille raison pour laquelle l’autre aurait pu être énervé, puis exploser au bout d’un moment sans raison valable apparente.
Mais pour que ces échanges puissent avoir lieu naturellement, il faut respecter quelques règles simples et efficaces :
Exprimer clairement un fait :
→ Sans exagérer
→ Sans agressivité cachée
→ Sans manipuler l’émotion de l’autreÉcouter le reproche sans se défendre immédiatement :
→ En partant du principe que l’autre ne ment pas
→ Même si on ne se souvient pas précisément de ce moment
→ En cherchant simplement à comprendreComprendre clairement l’impact qu’on a eu :
→ Sans minimiser la gêne ressentie par l’autre
→ En identifiant précisément ce qui, dans notre comportement, a posé problème
→ En distinguant clairement ce qu’on voulait faire de ce qu’on a fait réellementAssumer ou expliquer, sans jamais nier le ressenti :
→ Si ce qu’on a fait était maladroit ou injuste, on s’excuse clairement
→ Si on pense que notre réaction était légitime, on explique pourquoi, sans invalider le ressenti de l’autre
→ Et quoi qu’il arrive, on ne transforme jamais la gêne ou la douleur exprimée en attaque personnelle contre soiEt c’est le plus important :
→ Mettre son égo de côté
Partir du ressenti a l’air d’être la meilleure solution mais c’est souvent juste une manière de court terme de calmer la situation. C’est le problème principal de la communication non violente d’ailleurs, parce que oui l’un peut comprendre que l’autre a souffert mais sans jamais se remettre en question parce qu’après tout, le problème vient du ressenti de l’autre pas de nos actions.
La meilleure solution est donc de partir des faits tels qu’ils ont été vécus par celui qui se sent insulté.